Dans un parcours de e-éducation, le temps est souvent perçu comme linéaire. Les parcours sont scénarisés par un enchainement de grains : consultation de ressources, réalisation d’activités ou bilans d’étapes. Nous pouvons envisager d’autres stratégies car l’une des caractéristiques propres à la e-éducation est qu’elle permet naturellement aux élèves d’avancer à leur rythme. Observez une séance en classe, et vous constaterez très vite que les écrans n’affichent pas les mêmes activités d’un élève ou d’un groupe à l’autre.
Comment l’enseignement coopératif et/ou par plan de travail et la e-éducation peuvent-ils s’enrichir mutuellement pour faire progresser chaque élève ?
Comment faire du temps un véritable outil de personnalisation des apprentissages ?
Le plan de travail est une méthode pédagogique introduite par Célestin Freinet en 1936. Auteur de nombreuses fiches permettant aux élèves de travailler de façon autonome, il emprunte à l’américaine Helen Parkhurst « le plan Dalton » mis en œuvre en 1920. Si l’objectif premier est de relier le travail scolaire aux besoins des élèves et de les responsabiliser face aux apprentissages, Freinet adapte quelque peu le fonctionnement pour contourner l’idée de travail à la chaîne. Il instaure deux nuances importantes : un temps de négociation où l’élève opère réellement des choix et une explicitation des fiches, afin que le plan de travail ne devienne pas une forme de « bourrage de crâne ». L’élève devient acteur de ses apprentissages.
Plan de travail d’époque d’une école Freinet. Le document présente des champs d’auto-positionnement pour l’élève dans toutes les disciplines, et un graphique donnant une vision d’ensemble du niveau de l’élève.
Le modèle général est le suivant : l’enseignant définit une période et propose une liste d’activités à réaliser. L’élève choisit alors les activités qu’il souhaite réaliser et/ou dans quel ordre il compte le faire. À la fin de la période, l’élève s’auto-évalue et, avec le conseil de l’enseignant, il définit les nouvelles tâches à réaliser.
Ce modèle connait de nombreuses variantes. Toutefois, trois dimensions sont communes aux différents dispositifs mis en place. D’abord l’élève doit avoir une part de contrôle sur ses apprentissages. Son engagement dans la tâche est renforcé par le fait qu’il développe sa capacité à travailler de façon autonome. On lui propose des activités qu’il est en mesure de faire seul, en autonomie, afin qu’il consolide des notions déjà vues et/ou qu’il acquiert des méthodes de travail. Les élèves n’ayant pas tous les mêmes besoins, chacun peut se voir attribuer des travaux spécifiques ou être libre de choisir son propre cheminement dans le cours. Ici, l’élève est responsabilisé. Ce sont les choix de l’élève qui déterminent sa progression. Dans le cadre de travaux de groupes, son investissement détermine l’achèvement de la tâche par ses camarades. Il est invité à anticiper les conséquences de ses actes et à les assumer. Dans cet esprit, il apprend de ses erreurs.
Enfin, les plans de travail sont propices à développer la coopération sous toutes ses formes :
- des travaux de groupes ponctuels lorsque plusieurs élèves travaillent un même objectif ;
- un tutorat réciproque et institué parce que l’enseignant ne peut être présent pour tous ;
- une entraide généralisée car les élèves les plus autonomes peuvent aider les autres à s’organiser ;
- une aide toujours disponible car l’enseignant peut passer d’élève à élève pour apporter des apports adaptés.
C’est ainsi que le plan de travail va souvent de pair avec la mise en œuvre des classes coopératives. Dans la classe coopérative, les décisions sont discutées, prises en commun et, si besoin, remises en question par le groupe.
Ce plan de travail d’époque détaille les différentes activités à réaliser en calcul, grammaire, histoire, physique-chimie, travail manuel, etc. Un graphique personnel hebdomadaire donne une vision globale des résultats de l’élève.
Avant d’introduire de la modularité dans le temps, il convient, comme pour les plans de travail, de définir le cadre de l’activité.
Quels sont les objectifs visés ?
Quelle est la durée choisie (plan de travail journalier, hebdomadaire, trimestriel) ?
Quelle est la modalité qui convient le mieux ? L’élève peut-il entièrement choisir et négocier les activités à réaliser ou bien y a-t-il une part des activités qui sont obligatoires et d’autres facultatives ?
Dans les réponses à ces questions, l’enseignant peut identifier la solution qui lui convient le mieux en matière de scénarisation, de guidance et de partage sur la plateforme, telle que :
- regrouper en un Environnement Numérique de Travail (ENT) différents exercices proposés dans lesquels les élèves évoluent ;
- proposer de petits parcours en libre accès sur la plateforme Éléa pendant l’année pour renforcer des compétences ;
- introduire un parcours avec des boutons et une carte de progression permettant à l’élève d’accéder directement à certaines parties du parcours ;
- paramétrer l’accès à une nouvelle activité selon la réussite ou non à un exercice ;
- insérer un module leçon où l’élève est guidé sur une page ou une autre en fonction de ses réponses.
Carte mentale sur la classe coopérative, dont les branches principales sont : le cadre, les outils pédagogiques, les outils d’apprentissage, l’évaluation.
L’association « e-éducation, plan de travail et coopération en classe » suppose de la part des enseignants de changer en profondeur leur perception de la classe.
Comme pour toute modalité pédagogique, il n’est nul besoin de systématiser le plan de travail à l’année. En effet, les travaux de Sylvain Connac démontrent que les classes coopératives comme les plans de travail sont une véritable plus-value pour faire progresser les élèves, à condition de ne pas devenir la seule modalité pédagogique mise en place. Comme le rappelle Philippe Meirieu, le danger de systématiser la différenciation est d’enfermer des élèves dans des activités trop aidées. D’ailleurs, il reste toujours une part d’élèves pour lesquels cette modalité ne convient pas.
La liste ci-dessous propose de mettre en lumière quelques effets positifs de cette stratégie pédagogique :
1° Simplifier la gestion de la classe lorsqu’on fonctionne avec un plan de travail
Fonctionner par plan de travail dans la classe suppose de la part de l’enseignant la capacité d’indiquer régulièrement à l’élève où il en est et vers quoi il doit tendre. C’est une lourde tâche, en particulier dans le secondaire, que d’effectuer la vérification pour 30 élèves sur 55 minutes environ. La plateforme Éléa permet de résoudre ce problème car la plupart des activités peuvent y être corrigées automatiquement avec un feedback qui renseigne l’élève sur ses difficultés potentielles. L’enseignant garde des traces précises de l’avancement des élèves, de leurs réussites et de leurs difficultés.
2° Faciliter le suivi des élèves et valoriser leurs parcours
De même, il devient plus simple de conserver la trace des progrès de l’élève et de les lui donner à voir. Par l’acquisition de badges par exemple, l’élève est renseigné sur son niveau. Il est alors possible de décider qu’un élève ayant réussi un niveau a le droit d’aider ses camarades. Là encore, il n’est pas nécessaire d’afficher un tableau de suivi qui aurait pour conséquence de donner à voir à tous les élèves où en sont les autres, réintroduisant une forme de compétition. Chaque élève peut donner à voir - ou non - ses badges.
3° Rendre plus souple la gestion des ressources et des activités
Conserver les fiches nécessaires à la mise en œuvre de plans de travail est une tâche complexe. Outre le fait qu’il faut habituer les élèves à s’y retrouver dans le classement, il faut veiller à avoir sans cesse les photocopies nécessaires et les corrigés associés en libre-accès, mais pas trop. De ce point de vue, le numérique permet de limiter les photocopies et de proposer une correction la plus adaptée possible. Une banque d’exercices peut ainsi être constituée en équipe pédagogique ou s’appuyer sur des parcours de la Éléathèque.
4° Apprendre aux élèves à s’organiser
On pourrait penser que l’autonomie et la densité de travail suggérées par cette méthode inquiètent des élèves en désaffection pour le système scolaire. Pourtant, il apparaît que la liberté d’agir est propice à un meilleur engagement des élèves qui deviennent acteur de leurs apprentissages. Le droit à l’erreur qu’offre la plateforme de e-éducation Éléa permet aux élèves d’évoluer à l’abri de tout jugement.
Un parcours de e-éducation permet aussi à l’enseignant de savoir quand et comment les élèves se sont connectés. Il devient possible de réfléchir avec eux sur le meilleur rythme de travail, tant à la maison qu’en classe. C’est l’occasion de montrer aux élèves que certains horaires conviennent mieux pour effectuer son travail personnel et préserver son sommeil.
5° Apprendre à communiquer au 21e siècle
On pourrait croire que le numérique isole. Il est perçu à tort comme un obstacle aux échanges, car entre les intervenants se dresse l’écran. Dans les faits, tout dépend de la tâche qui est demandée et du fonctionnement de la classe. Le parcours de e-éducation peut, dans le cadre d’une relation tutorale, devenir le support sur lequel les élèves échangent et partagent. Il devient même possible de prolonger cette entraide en dehors de la classe.
Par ailleurs, dans notre actuelle société de la communication, il est de plus en plus essentiel de forger les élèves à l’esprit critique. Cela nécessite un accompagnement. Laisser le libre arbitre aux élèves dans le cadre de leurs parcours contribue à éveiller ces derniers au fait que toute liberté suggère des devoirs.
Pour conclure
En introduisant plus de modularité dans les temps d’apprentissages, le plan de travail permet de faire de la e-éducation une piste intéressante pour personnaliser les parcours, restaurer l’autodétermination et responsabiliser les élèves pour les rendre plus autonomes. Réciproquement, la e-éducation offre aux enseignants qui pratiquent les plans de travail une simplification dans la gestion et un retour plus visible sur la progression de chaque élève.
Pour aller plus loin
Intervention des Jeudis de la recherche :
- Sylvain Connac sur le tutorat entre élèves, 8 mars 2018.
- Table ronde donnant à voir des exemples de situations d’entraide avec la e-éducation., 5 avril 2018.
- Céline Buchs, Apprendre (par) la coopération, 31 mai 2018