Décryptage : épisode 7

Comment réaliser une vidéo avec les élèves au collège ?

Une websérie qui analyse les processus à l’œuvre dans la scénarisation, la médiatisation et l’intégration de ressources pédagogiques à des fins d’apprentissage, avec le numérique.

Qu’en pensent les enseignants qui réalisent des vidéos pour leurs élèves, ou qui font réaliser des vidéos par leurs élèves, dans le cadre de leurs cours ? Est-ce que cela favorise l’engagement, la motivation, la mémorisation ? Est-ce que c’est chronophage ? Est-ce que cela demande des compétences particulières ?

Mis à jour le vendredi 14 mars 2025

La série décryptage s’adresse à l’ensemble des enseignants et formateurs qui réalisent des vidéos à des fins pédagogiques.

Dans cet épisode, après avoir pris connaissance des recommandations de la recherche, nous sommes partis à la rencontre d’acteurs de terrain.

Voici un deuxième témoignage d’une enseignante de mathématiques de collège.

Bonjour et bienvenue dans la série décryptage, consacrée à la scénarisation pédagogique avec le numérique. Dans les épisodes précédents, nous avons cherché à identifier les ingrédients incontournables d’une vidéo pédagogique efficace en nous appuyant sur les apports de la recherche.

Je vous propose maintenant d’aller à la rencontre d’acteurs de terrain mais cette fois-ci en nous intéressant aux enseignants qui font réaliser des vidéos par leurs élèves.
Pour démarrer cette enquête, je suis partie dans un cours de mathématiques, au collège.

C’est Marjorie qui a accepté d’ouvrir sa classe et de répondre à mes questions.

J’avais très envie de savoir ce qu’elle en pensait. Est-ce que ça ne lui prenait pas trop de temps au détriment du contenu ? Est-ce que ça ne demandait pas des compétences trop élevées de la part de ses élèves ? est-ce qu’elle a observé un impact sur les apprentissages, sur le travail de l’oral, sur le climat de classe, sur la motivation et l’engagement ?

Témoignage de Marjorie

- " Je vais vous donner un exercice à faire, mais vous n’allez pas simplement faire l’exercice. Vous allez expliquer toute votre démarche et vous allez devoir l’expliquer en vidéo. Juste avant de commencer, c’est quoi la première étape avant de construire un triangle ? "
- "C’est faire à main levée."
- "Voilà, c’est faire le dessin à main levée, mettre bien les mesures dessus, et ensuite vous prenez vos outils de géométrie et vous le faites en vraie grandeur. Le petit clip, il apparaît ici. Si vous voulez faire la suite, de nouveau vous appuyez, ça enregistre, ça enregistre, et hop, le deuxième il est là."

Les élèves sont en groupe de trois, ils ont une tablette par groupe, et je leur redonne chacun un énoncé d’exercice différent suivant les groupes. Les critères attendus, c’est surtout qu’à la fin de la vidéo, n’importe qui comprenne et sache refaire l’exercice en s’appuyant sur la vidéo comme modèle.
La vidéo permet aux élèves d’être acteurs de leur apprentissage et de ne pas être passifs. Ils doivent expliquer leur démarche, se mettre un peu dans la peau d’un enseignant, essayer de structurer leur pensée, déjà de bien comprendre la notion au départ, pour l’expliquer, et c’est comme ça qu’on apprend encore mieux.
Les mots ont beaucoup d’importance en mathématiques, en géométrie en particulier, et doivent bien sûr utiliser le bon vocabulaire. Ils échangent entre eux, ils élaborent des scénarios, ils argumentent chacun de leur côté, donc là aussi encore c’est une façon de travailler les mathématiques.
"- Une règle, un poids et une gomme pour pouvoir gommer."
Certains ont eu l’idée de se filmer et de faire toute une mise en scène, et plusieurs ne se sont pas filmés ou ont filmé uniquement leurs mains pour les mathématiques. L’idée n’est pas forcément de filmer les visages.
"-Notre vidéo, ce n’est pas à l’oral, mais à l’écrit. De base, on ne trouvait pas comment faire pour écrire. Et après, on a regardé sur les trucs comme ça. Et quand on va là, on peut changer ce qui est écrit dessus."

Ça crée aussi une cohésion de classe. Ils ont envie de voir les vidéos des uns et des autres. C’est toujours dans la bienveillance. C’est ça que j’aime beaucoup.
Ça fait une classe qui est très bruyante. Mais par contre, ce n’est pas du tout le bazar où n’importe qui fait n’importe quoi. C’est bruyant, mais ils sont tous au travail. Ils sont tous dans leur activité, c’est plutôt bénéfique.
"- C’est une scène d’une fille qui n’arrive pas à faire ses devoirs et c’est la maman qui va l’aider pour lui expliquer comment on fait."
À chaque fois que j’utilise cette méthode, sur cette notion-là, j’ai en général 100% de réussite.
Il y a une citation de Benjamin Franklin que j’aime beaucoup, c’est "Tu me dis, j’oublie, tu m’enseignes, je me souviens, et tu m’impliques, j’apprends."
C’était au début des vidéos YouTube des influenceurs. J’ai vu simplement mes filles qui, elles, aimaient faire ça à la maison, sur d’autres sujets que des mathématiques. Et je me suis dit, mais tiens, pourquoi pas utiliser ça avec mes élèves, et en maths bien sûr.

Marjorie m’a bien convaincue de la facilité de cette réalisation et de son intérêt pédagogique.
Bien sûr, sa classe est équipée, ça aide ! J’ai l’impression aussi que c’est une activité qui demande à installer des habitudes de travail au long court. Le fait de travailler en demi-groupe aussi doit faciliter la mise en place du dispositif et permettre au professeur de passer aider les élèves au plus près de leurs besoins.

Quels conseils pouvons-nous retenir ?
Résumons : faire réaliser une vidéo pédagogique par les élèves :

  • Favorise leur motivation et par conséquent améliore leur attention et leur engagement actif, deux des quatre piliers de l’apprentissage évoqués par Stanislas Dehaene
  • Renforce la mémorisation des notions abordées, quand elles doivent être explicitées à d’autres,
  • Développe leurs compétences narratives, orales et langagières,
  • Mais aussi leurs aptitudes sociales : concertation, organisation, négociation.

Attention cependant, cette activité :

  • Demande d’expliciter les règles sociales à mobiliser pour bien coopérer dans un climat positif, comme le rappelle Céline Buchs
  • Nécessite de ne pas solliciter des compétences techniques trop élevées qui feraient interférence comme le souligne Daniel T. Willingham
  • Implique un rappel quant au droit à l’image et au RGPD : utiliser la voix des élèves ou leur image ne peut se faire sans l’autorisation des responsables légaux
  • Requiert un guidage fort et une scénarisation détaillée de la part de l’enseignant, c’est-à-dire un enseignement plus explicite ; comme l’évoquent Tricot et Amadieu.

Je vous donne rendez-vous dans le prochain épisode où nous allons partir au lycée pour découvrir l’usage de la vidéo dans le cadre d’un enseignement artistique.

  • Buchs, C. (2017). Apprendre ensemble : des pistes pour structurer les interactions en classe. In M. Giglio & F. Arcidiacono (Eds.), Les interactions sociales en classe : réflexions et perspectives (pp. 189-208). Berne : Peter Lang.
  • Tricot A., Amadieu F., Apprendre avec le numérique, mythes et réalités
  • Daniel T. Willingham, Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école !
  • Dehaene : Collège de France, Les fondements cognitifs de l’apprentissage scolaire, cours de psychologie expérimentale par S. Dehaene, 2015
  • Dehaene, S. (2018), Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Odile Jacob

  • Directeur de la production :Pierre Cauty, Délégué régional académique au numérique éducatif
  • Production exécutive :Malika Alaouani, adjointe
  • Réalisation : Hugues Philippart, chargé de mission et Anne-Cécile Franc, chargée de mission
  • Remerciements : Marjorie Bertrand, professeur de mathématiques et chargée de mission à la DRANE site de Versailles

Compléments :

Voir les autres épisodes de la série Décryptage

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Article rédigé par Anne-Cecile Franc