L’accompagnement des apprenants
Grâce aux nombreuses sessions menées depuis 2009, nous avons remarqué que les formateurs-tuteurs sur m@gistère doivent être particulièrement attentifs à tous les éléments qui vont contribuer à renforcer la motivation des apprenants, et limiter au contraire ce qui pourrait constituer un facteur de démotivation.
- Un projet personnel
Par exemple lors des sessions e-CAP, lorsque nous accompagnons les formateurs inscrits, nous prenons systématiquement le temps de faire formuler un projet personnel de formation par les participants au cours du présentiel initial. Nous rappelons le contexte académique dans lequel les formations e-CAP s’inscrivent et l’importance de la montée en compétence des formateurs par rapport aux enjeux de la e-formation.
Dans les canevas proposés sur la plateforme m@gistère, le projet personnel des apprenants prend la forme d’un carnet de bord individuel que chacun peut télécharger et remplir.
Ce carnet de bord a été revisité par certaines équipes pour prendre la forme plus élaborée d’une autoévaluation personnalisée des compétences.
C’est un choix intéressant, qui convient particulièrement à certains apprenants.
Lorsque nous formons les futurs formateurs-tuteurs dans le cadre de la formation e-CAP3, nous leur proposons ce modèle de carnet de bord parmi différentes solutions à leur disposition afin qu’ils puissent personnaliser le projet de leurs apprenants.
- Créer un climat de confiance
Par ailleurs pour renforcer le sentiment d’efficacité personnelle, nous veillons à créer un climat de confiance réciproque au sein du groupe lors de chaque session de formation. Nous rédigeons des feedbacks bienveillants lorsque nous devons faire des retours aux apprenants sur leurs productions et nous les invitons à faire preuve de la même bienveillance vis à vis des enseignants qu’ils formeront, en les invitant à les considérer comme leurs pairs.
Dans le cadre de la formation e-CAP1, lors du deuxième présentiel intermédiaire, nous échangeons avec les apprenants sur la manière dont ils ont perçu le fait d’avoir accès aux contributions et aux commentaires de leurs pairs sans le filtre de l’anonymat. Dans tous les groupes depuis 2011, ils indiquent avoir ressenti le besoin de soigner davantage leurs contributions, en raison du regard des autres ou aiguillés par un sentiment de compétition (motivant pour les uns, source de stress pour les autres).
L’impact du groupe a donc eu un effet plutôt bénéfique sur leur motivation, mais ils soulignent l’importance des retours indulgents et des remarques constructives pour que cette dynamique positive puisse se mettre en place.
Les formateurs-tuteurs formés dans e-CAP3 prennent conscience de la nécessité de cette approche bienveillante à l’occasion de jeux de rôles que nous analysons ensuite ensemble.
- Laisser le choix d’un parcours individualisé
Enfin, nous laissons systématiquement la possibilité aux apprenants d’adapter individuellement ou collectivement le déroulé ou le contenu de leur formation à leurs besoins spécifiques. La scénarisation des parcours e-CAP a été pensée pour permettre cette adaptation, de la part des formateurs-tuteurs, mais également par les apprenants. Nous avons pu constater qu’ils appréciaient tout particulièrement le fait de pouvoir choisir leur parcours, même si au final les grandes lignes du scénario initial étaient bien respectées.
- Tenir compte des spécificités du numérique
Les formateurs-tuteurs doivent également tenir compte d’une spécificité de la e-formation qui est le recours aux outils numériques.
Au cours d’une conférence donnée en octobre 2015 lors du PNF numérique, André Tricot [1] rappelle que pour les apprenants qui doivent acquérir des connaissances secondaires, de haut niveau, au prix d’un effort cognitif important, le recours au numérique ne doit pas constituer une difficulté supplémentaire en exigeant le développement de nouvelles compétences.
André Tricot déconstruit un certain nombre de mythes par rapport au numérique, et notamment celui selon lequel la nouveauté du numérique constituerait un facteur de motivation pour les apprenants. Il montre au contraire que la peur d’être incompétent face à un outil non maîtrisé peut provoquer l’effet opposé. Les prétendus digital native ne maîtrisent des nouvelles technologies que pour les tâches qui leurs sont utiles au quotidien et ne sont pas plus compétents que leurs aînés face à des usages spécifiques du numérique dans un cadre non familier. C’est donc plutôt le sentiment de compétence ou d’incompétence qui va avoir une influence sur la motivation des apprenants.
Le rôle du formateur-tuteur est donc déterminant pour accompagner la démarche de développement professionnel des apprenants.
Lorsque nous accompagnons un groupe sur m@gistère, nous veillons tout particulièrement à rassurer les apprenants sur leurs compétences et à résoudre leurs difficultés techniques pour qu’ils puissent concentrer toute leur attention sur les connaissances à acquérir. Nous développons au fur et à mesure leur autonomie en leur fournissant tous les repères rassurants pour pouvoir trouver des solutions facilement en cas de problème. En plus des liens vers des guides et des didacticiels détaillés dans l’Aide, nous leur fournissons tous les moyens pour nous contacter par courriel et par téléphone.
Le concept d’« apprenance » :
Philippe Carré, professeur en Sciences de l’éducation à l’Université de Paris Ouest – Nanterre la Défense, responsable de l’équipe « apprenance et formation des adultes » au CREF (centre de recherche éducation formation), s’attache à défricher la notion d’ « apprenance » , comme illustration des transformations au rapport au savoir dans le cadre de la société d’information.
Dans une interview que nous avons réalisée en 2013 dans le cadre du dispositif e-CAP3, nous lui avons demandé de présenter la notion d’apprenance [2].
- Il en propose d’abord une définition macro-structurelle :
Il appelle ainsi culture de l’apprenance la culture de l’apprentissage qui vient relayer la logique du 20ème siècle qui était une logique de formation.
Issue du « lifelong learning » (l’apprentissage tout au long de la vie), relayée par les messages de l’Union européenne depuis 1995 et très largement réappropriée par beaucoup d’organisations, cette culture se développe avec la vie moderne, post 21ème siècle et implique des comportements d’apprentissage permanent, pour développer des compétences, pour se tenir à jour, pour ne pas être noyé dans le flot d’informations reçues quotidiennement.
- Au niveau micro-psychologique l’apprenance est une attitude.
Pour coller à cette nécessité d’apprendre tout au long de la vie, les sujets sociaux développent une attitude positive, proactive par rapport à l’apprentissage.
Ils vont donc chercher le savoir, ils se renseignent, ils essaient de trouver des ressources pour apprendre et développer des compétences. Il y a donc un renversement de perspectives. C’est le « sujet social apprenant » (selon l’expression de Joffre Dumazedier) qui passe au premier plan, sa logique, sa façon de fonctionner.
Dans cette culture de l’apprenance, les formateurs sont amenés à devenir des accompagnateurs des facilitateurs, des aides, des appuis, des ressources, mais ne vont sans doute plus jouer le premier rôle sur l’estrade magistrale comme unique détenteur du savoir.
Les ressorts de la motivation chez l’apprenant
Or « pour qu’il y ait apprentissage, il faut qu’il y ait savoir apprendre, aimer apprendre et vouloir apprendre. L’absence de l’une ou l’autre de ces dimensions entraîne très rapidement un arrêt du processus ». Belbaum (1996)
En se référant au travail de Fabien Fenouillet qui explore 101 théories motivationnelles pour présenter un modèle intégratif de la motivation [3], Philippe Carré met l’accent sur trois ressorts particulièrement récurrents dans les théories de l’apprentissage des adultes.
- Le premier concerne la valeur énergisante des finalités de la formation (l’apprenant adulte ne se forme, et ne fournit des efforts pour développer des compétences que si le but vers lequel il s’oriente est suffisamment important pour lui).
- Le deuxième concerne la prévision de réussite en accord avec la théorie du sentiment d’efficacité personnelle de Bandura qui indique qu’un adulte ne s’engagera jamais dans une action quelconque s’il n’estime pas avoir des probabilités de réussite élevées.
- Le troisième s’appuie sur les théories de l’auto-détermination, et le rôle important, particulièrement pour des adultes, de la liberté d’apprendre, (les adultes n’aiment pas qu’on leur impose des choses. Ils sont d’autant plus actifs et motivés et entrent d’autant mieux en apprentissage qu’ils se sentiront libres d’accepter ou de refuser ou de négocier la formation).
Enfin, André Tricot [4] indique que selon l’approche cognitive des apprentissages, la perception qu’a l’apprenant de la valeur de la connaissance visée et de la tâche proposée, ainsi que sa perception de sa propre capacité à réaliser cet apprentissage et cette tâche vont avoir une influence directe sur sa motivation. Mais il ajoute que les psychologues de l’éducation prennent également en compte les connaissances que les apprenants ont à propos des tâches à réaliser pour acquérir des connaissances secondaires. Dans le cas où ils ne maîtrisent pas les connaissances liées à ces tâches, ils mobilisent davantage de ressources cognitives pour réaliser ces tâches au détriment de l’apprentissage principal et se démotivent.
Ces différents apports de la recherche nous ont aidé à scénariser puis à ajuster nos dispositifs hybrides.