Décryptage : épisode 8

Comment réaliser une vidéo avec les élèves au lycée ?

Une websérie qui analyse les processus à l’œuvre dans la scénarisation, la médiatisation et l’intégration de ressources pédagogiques à des fins d’apprentissage, avec le numérique.

Qu’en pensent les enseignants qui réalisent des vidéos pour leurs élèves, ou qui font réaliser des vidéos par leurs élèves, dans le cadre de leurs cours ? Est-ce que cela favorise l’engagement, la motivation, la mémorisation ? Est-ce que c’est chronophage ? Est-ce que cela demande des compétences particulières ?

Mis à jour le vendredi 16 mai 2025

La série décryptage s’adresse à l’ensemble des enseignants et formateurs qui réalisent des vidéos à des fins pédagogiques.

Dans cet épisode, après avoir pris connaissance des recommandations de la recherche, nous sommes partis à la rencontre d’acteurs de terrain.

Voici un troisième témoignage d’un professeur de spécialité arts plastiques en lycée.

Bonjour et bienvenue dans la série décryptage, consacrée à la scénarisation pédagogique avec le numérique. Dans les épisodes précédents, nous avons cherché à identifier les ingrédients incontournables d’une vidéo pédagogique efficace en nous appuyant sur les apports de la recherche.

Je vous propose maintenant d’aller à la rencontre d’acteurs de terrain mais cette fois-ci en nous intéressant aux enseignants qui font réaliser des vidéos par leurs élèves.

Pour poursuivre cette enquête, je suis partie dans un lycée, à la rencontre de François, un professeur de spécialité arts plastiques, pour voir quelles compétences des élèves plus autonomes peuvent mettre en œuvre en utilisant la vidéo avec un regard plus artistique et créatif.

Témoignage de François Martin

- Alors en terminale, mes sujets ils sont technique libre, donc les élèves choisissent leur médium. Mais je les invite, quand ça se justifie par rapport à leur travail, à aller vers la vidéo.
Le premier rapport de la vidéo, je crois que c’est le regard des élèves sur leur propre travail. Parce que les élèves parfois ne voient pas les qualités d’un travail et je trouve que la vidéo agit souvent comme un révélateur.
Pour les élèves, comme pour un artiste en fait, ce qui est très difficile, c’est voir ce que l’on fait. Comme si ça n’était pas soi qui l’avait fait en fait.
Et le problème qu’ils rencontrent c’est le même problème que les artistes. Et la vidéo, comme la photographie... permet cette mise à distance-là.

Première élève

-" Vu la taille de mon travail, je ne pouvais pas avoir un regard permanent dessus, ni objectif. J’ai dû installer une sorte de dispositif pour me permettre de le voir de plus loin et pour avoir une vue d’ensemble.
J’ai pris mon téléphone, que j’ai réussi à fixer en haut de l’escalier avec du scotch. J’ai fait tourner une vidéo tout au long de mon processus de travail. J’ai utilisé le stop-motion. Mes séances de deux heures de travail, elles sont condensées en vidéo, accélérées à peu près d’une quarantaine de secondes. Il y a des moments où je peux couper certains moments où il ne se passe pas grand chose, en ralentir certains pour voir quand j’agis beaucoup sur la matière. Ça m’a permis de voir l’évolution, mon processus de création. Je trouve que ça apporte une manière très transparente aussi de travailler. Vraiment, ben une évolution dans le temps, quoi, de mon travail. Ça le rend intéressant.
Le sujet, c’était un corps qui exprime l’être. C’est comment représenter par une figure, un trait particulier, un sentiment intérieur que pouvait ressentir le corps. "

François martin

- Eugène Leroy, qui peint avec des épaisseurs, dit que malgré ces épaisseurs-là, le premier geste est toujours visible. Je crois que la vidéo permet justement une mémorisation des étapes plus importante que la matière qui nous fait oublier. Parce qu’on est dedans, on est sensible à ce qui se passe à l’instant T, mais l’avant, il s’opacifie.
Et Catarina, qui parle de transparence, j’ai trouvé ça d’une justesse magnifique.

Deuxième élève

- "Mon projet, c’est de faire une vidéo qui mélange stop-motion et animation du digital. C’est sur l’enfance et la mort. Il faut commencer avec un storyboard et les idées générales qu’on veut faire. J’ai fait ça sur mon carnet de croquis. Pour le stop-motion, j’ai dû faire des sortes de petites marionnettes qui étaient articulées avec des punaises parisiennes. La couleur, on utilise ça quand on est petit pour dessiner et colorier. Donc j’ai repris ça pour le stop-motion. Et sur la digitale, j’ai fait en noir et blanc avec juste une ou deux couleurs. Sur la digitale, c’est plus facile de faire des mouvements de caméra et de changer les plans. Le stop motion, faut vraiment faire photo par photo par photo par photo. Il faut que ça soit assez stable pour que ça fasse un bon rendu. Sur digitale, tu as juste à bouger le cadre du dessin et ça suit le mouvement de la caméra. Je fais en fonction de comment ça donne et quelle idée j’ai en tête. C’est vraiment intuitif. Le stop motion, le plus compliqué, c’est d’avoir toujours un plan fixe quand tu prends en photo parce que comme je n’ai pas de trépied, ça modifie l’image en quelque sorte, genre l’espace entre la feuille et l’appareil photo. Donc ça crée une sorte de déséquilibre quand on voit sur l’animation de fin. Comme j’avais un peu de mal, je me suis dit qu’autant, en quelque sorte, embrasser cette imperfection et l’utiliser dans mon travail pour que ça donne un effet."

François martin

- Au baccalauréat, ils ont eu donc une épreuve orale et ils doivent présenter leur réalisation de l’année terminale et un dossier documentaire. La vidéo peut être abordée en soi comme pratique artistique mais aussi peut être abordée comme pratique documentaire de leur travail.
L’aspect chronophage, il est certain, mais c’est à l’enseignant de le gérer pour pouvoir le rendre possible en fait. J’ai des élèves qui utilisent la vidéo pour leur dossier pour Parcoursup, qui font des portfolios, qui dans les portfolios mettent des liens sur des vidéos qu’ils postent sur internet pour que le jury puisse voir leurs vidéos. Il y a autre chose aussi, c’est qu’il y a des élèves dans cette classe qui vont intégrer des écoles audiovisuelles, jeux vidéo, animation 2D, animation 3D. Qu’ils aient une pratique vidéo dans leur année terminale leur permet aussi d’accéder à ces écoles-là."

Ça a été vraiment très inspirant de pouvoir avoir le point de vue de François, mais aussi celui des élèves.

Que pouvons-nous retenir ?
Résumons :
Faire réaliser une vidéo plus avancée dans un cadre artistique par les élèves :

  • Favorise la mise à distance et la réflexivité,
  • Décompose un processus artistique en étapes inscrites dans une temporalité
  • Développe les compétences orales et langagières,
  • Enrichit et augmente la pratique artistique
  • Favorise le travail documentaire
  • Vient nourrir un dossier d’orientation

Bien sûr, les points de vigilance évoqués dans l’épisode précédent restent de mise.

  • Les règles sociales doivent être explicitées pour favoriser une coopération efficace, dans un climat positif, comme le rappelle Céline Buchs
  • Les compétences techniques à mobiliser ne doivent pas faire interférence comme le souligne Daniel T. Willingham
  • Un rappel quant au droit à l’image et au RGPD reste indispensable
  • Comme l’évoquent Tricot et Amadieu, ce type d’enseignement par projet, très différencié requiert un guidage fort et une scénarisation détaillée de la part de l’enseignant, c’est-à-dire un enseignement parfaitement explicite.

Et voilà, nous arrivons au terme de cette série d’épisodes consacrés à la réalisation d’une vidéo pédagogique.
Les trois professeurs interrogés sont très engagés. Grâce à la capacité d’analyse réflexive dont ils ont su faire preuve, j’espère qu’ils vous auront permis de mieux comprendre l’intérêt de la vidéo pédagogique en classe.
Il y a probablement des usages plus modestes à mettre en place pour démarrer, qui seront tout aussi pertinents et efficaces.
Après deux ans d’enquête et de réflexion, je me rends compte qu’au-delà de la plus-value pédagogique pour les apprentissages, la réalisation de vidéos fait énormément monter en compétences les enseignants qui les mettent en œuvre.

J’espère que ces conseils vous auront été utiles et que cela vous donnera envie de vous lancer à votre tour.

  • Buchs, C. (2017). Apprendre ensemble : des pistes pour structurer les interactions en classe. In M. Giglio & F. Arcidiacono (Eds.), Les interactions sociales en classe : réflexions et perspectives (pp. 189-208). Berne : Peter Lang.
  • Tricot A., Amadieu F., Apprendre avec le numérique, mythes et réalités
  • Daniel T. Willingham, Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école !

  • Directeur de la production : Pierre Cauty, Délégué régional académique au numérique éducatif
  • Production exécutive : Malika Alaouani, adjointe
  • Réalisation : Hugues Philippart, chargé de mission
    Anne-Cécile Franc, chargée de mission
  • Remerciements : François Martin, professeur d’arts plastiques

Compléments :

Voir les autres épisodes de la série Décryptage

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Article rédigé par Anne-Cecile Franc